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Le turban et les règles (et le cryptoracisme des laïques)

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Thats sikh

 

Oui, je vais parler de la question du turban au soccer. Si vous trouvez que ce n’est pas bien et que je devrais écrire sur autre chose, puisque pour vous il y a bien d’autres choses de plus importantes, je vous invite à lire le billet suivant :

L’argument du mauvais sujet au mauvais moment

Donc, au sujet du turban au soccer, je suis pas mal d’accord avec Foglia :

Il fallait dire que le turban est interdit parce que c’est la règle. Et non, ce n’est pas une règle de sécurité. C’est la règle, point. Ce n’est pas honteux d’avoir des règles. La règle dit aussi, par exemple, que tu ne peux pas jouer au soccer torse nu (dans un match sanctionné). Y’a pas vraiment de raison, comme toutes les règles qui touchent à l’uniforme, elles visent une certaine… uniformisation. À cette école, la jupe doit être grise, la casquette n’est pas permise, etc.

Les règles

Le fait de devoir porter un turban pour certains sikhs est une règle. Le fait de ne pas pouvoir en porter pendant un match de soccer est une autre règle (selon l’interprétation qu’a fait la Fédération du soccer du Québec de la règle de la FIFA) :

L’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle.

(Cette règle me semble tout à fait en phase avec la laïcité. Et pour moi la laïcité n’est pas un caprice athée, mais bien un désir de respect pour la multitude quand l’expression de soi, de sa religion ou de ses idées politiques n’est pas requise ni souhaitable.)

On s’entend que le turban est un signe ostentatoire (le contraire d’un signe discret, caché), et qui dit « signe ostentatoire », dit message, donc, plus amplement : l’étalage de sa religion. Et, dans le contexte actuel, le politique n’est jamais bien loin… Sans oublier aussi le caractère personnel, puisqu’il s’agit de tenir (personnellement) à afficher sa religion (ce ne sont pas tous les croyants qui le font). Pour ce qui est des sikhs, le port du turban est doublement ostentatoire puisque seulement les initiés le portent. Il est donc un signe distinctif dans ce système religieux. Et si les règles sportives ne tiennent pas compte à la base des particularismes religieux, les relayant donc aux sphères personnelles, c’est tout à fait logique. Le sport est, tout comme la religion, un phénomène social qui est en soi un monde règlementé. L’historique des sports s’inscrit dans des contextes géopolitiques et sociaux distincts, tout comme les religions. Et, dans la majorité des cas, il ne semble pas y avoir de lien entre les règles des sports et des religions.

Deux poids, deux mesures

Finalement, selon le site « Friends of Soccer », la FIFA aurait confirmé qu’il est acceptable de porter un turban. Visiblement, on peut afficher clairement sa religion en jouant au soccer, mais ne pas afficher autre chose. Je me demande s’il y a des joueurs, l’été dernier, qui se sont mis un carré rouge sur le torse et si on leur a demandé de l’enlever parce que c’est la règle… Voilà l’exemple parfait du deux poids deux mesures qui règne actuellement entre les gens qui tiennent à afficher leur religion et les autres alors que le concept de laïcité ouverte prône un accommodement pour les employés de l’État qui désirent porter voiles, turbans, crucifix et autres durant le travail. Pour ce qui est des employés de l’État qui voudraient afficher leurs opinions politiques, c’est simple, la neutralité est de mise, comme le rappelait François Cardinal de La Presse durant la crise étudiante à la suite d’un débat autour du port du carré rouge. Pourquoi la prescription religieuse devrait permettre l’expression de croyances là où on ne permet pas l’expression d’opinions politiques et personnelles? Je me le demande toujours…

Quoi qu’il en soit, l’exemple du turban reste quand même parfait pour montrer toute la problématique de la religion dans notre société. La majorité des points de discordes, sinon toutes, sont des règles qui se contredisent. Pour la personne religieuse (orthodoxe — et ses alliés multiculturalistes), les règles religieuses devraient toujours avoir préséance (dans la majorité des cas) sur toutes autres règles. Pour le laïque (croyant ou non), les règles religieuses devraient passer en deuxième quand il y a conflit avec une règle civile. Voilà exactement où se situe le débat.

De la mise à jour des règles

Dans les faits, les règles civiles (sportives et autres) ont été adoptées bien après les règles religieuses. Par exemple, le début du sikhisme remonte au 15e siècle et la règle du port du turban est précédente à l’invention des règles sportives, comme on les connait aujourd’hui. Où je veux en venir c’est que les règles religieuses sont toujours anachroniques par rapport aux règles actuelles, même si parfois ces dernières datent. Et quand on pense comme moi que le phénomène religieux est d’abord un système moral qui a été utile pour la cohésion sociale d’une humanité qui voulait se sortir de la barbarie, ces règles d’un autre temps ne pèsent pas lourd dans la balance. Alors, quand un individu tient à afficher sa foi en public, c’est une liberté personnelle très acceptable, mais quand cette liberté se voit confrontée à un règlement difficilement contournable, c’est carrément un caprice d’y tenir et de remuer mer et monde pour être accommodé. (Et je gage que si la FIFA avait dit que le turban est interdit, on l’aurait taxée d’intolérance, de xénophobie, voire de racisme. Pourtant, cette interdiction se défendrait très bien en soi, et parce qu’un turban peut être considéré comme une « inscription » religieuse sur « l’équipement de base », et parce qu’un turban ajoute un élément indésirable à un sport qui se pratique entre autres avec la tête.)

Il est donc possible de donner préséance aux règles plus anciennes ou de considérer que le monde change et qu’il est préférable d’appuyer ce qui est plus en phase avec notre époque. Au niveau du respect des libertés, il est possible de considérer que la liberté religieuse ne peut être entravée d’aucune manière, même dans un espace public règlementé, ou que cette liberté devrait s’arrêter à la sphère personnelle quand il y a problème au niveau de la sphère publique. Un turban, un voile, un crucifix ne sont pas la foi, seulement des démonstrations. Même si parfois une « démonstration » est interdite (comme cela aurait pu être le cas avec le turban), la liberté de croyance est toujours préservée au niveau personnel. Et puis, il n’y a rien qui dit que cette liberté est assortie d’une liberté totale de l’exprimer de toutes les manières possibles dans toutes les circonstances.

Parce que je vois un privilège là où on clame le respect d’une liberté, je me dois de me ranger du côté de la civilisation laïque et des règles qui peuvent sembler contraignantes pour certains orthodoxes (et les multiculturalistes). Je ne crois pas qu’on devrait remettre en question à tout prix les règles d’un sport pour accommoder une exigence religieuse, même si ces règles peuvent sembler absurdes pour certains. Comme je ne crois pas, contrairement aux partisans de la laïcité ouverte, que les signes religieux apparents ont leur place, et dans les édifices publics (comme le crucifix à l’Assemblée nationale), et sur les individus occupant des postes de représentants auprès du public.

La laïcité

D’ailleurs, pour ce qui est des écoles et des hôpitaux, j’aurais tendance à penser que la liberté de s’afficher est acceptable, si bien sûr elle permet autant l’expression de la religion que des opinions et de l’expression personnelle (ce dont je doute fortement). Pourquoi? Parce que les rapports entre ces employés et la population sont plus profonds que de simples services publics, parce qu’ils sont moins des représentants que des « accompagnants » qui ont souvent un rôle à long terme à jouer dans la vie des gens (surtout les enseignants), donc qu’ils ont un lien plus intime. Et puis, les écoles et les hôpitaux ont un lien moins direct que les autres services avec l’État. La preuve, ces services sont ceux qui sont déjà en partie privatisés et qui pourraient l’être totalement… Donc, ici, ma position rejoindrait partiellement celle de la laïcité ouverte, mais quand je pense au port du voile qui est représentatif d’une inégalité intrinsèque à la religion musulmane entre les hommes et les femmes, cette tendance en moi se dégonfle.

Au niveau des employés qui donnent un service étatique ponctuel, je crois que la neutralité est totalement de mise. Oui, c’est une vision « stricte » de la laïcité, mais elle est utile pour envoyer le message que l’État respecte le pluralisme :

La laïcité permet de gérer le pluralisme social sans que la majorité, qui en fait aussi partie, ne renonce à ses choix légitimes et sans brimer la liberté de religion de quiconque. […] Elle est la seule voie d’un traitement égal et juste de toutes les convictions parce qu’elle n’en favorise ni n’en accommode aucune, pas plus l’athéisme que la foi religieuse.

Encore plus, l’État n’a pas à savoir ce que nous faisons dans nos chambres à coucher, nous n’avons pas à savoir ce que pense et ce que croit ses employés. Tout le monde n’est pas qualifié pour faire tous les emplois sur Terre, je ne vois pas pourquoi c’est si traumatisant de penser que quelqu’un qui tient absolument à arborer sa foi (ou ses opinions) ne pourrait pas travailler pour certaines tâches étatiques.

Si porter un turban, un voile ou un crucifix en évidence était vital (dans un sens biologique), l’on pourrait argüer que c’est discriminatoire au niveau du marché de l’emploi. Être religieux à ce point n’est pas une condition, comme être handicapé par exemple. C’est un choix de vie (ou un choix de vie imposé) qui peut parfois être incompatible avec un emploi ou des règles (sportives).

Les sikhs, le soccer et kabaddi

On m’a pointé cette captation vidéo d’un extrait d’une partie de soccer durant les Jeux sikhs en Australie, en 2013. On remarque qu’aucun joueur ne porte le turban. Et si on fait une recherche au sujet de ces jeux sur YouTube, il n’y a qu’un autre sport que l’on peut y voir, et c’est le kabaddi. Aucun joueur de kabaddi ne porte le turban durant ces jeux sikhs. Et on ne voit aucun turban sur la tête d’un joueur si on fait une recherche par image avec le mot-clé « kabaddi », ni même en ajoutant « sikh ». (Le seul couvre-chef que l’on peut apercevoir dans les résultats c’est le voile pour des joueuses, mais ça, c’est une autre histoire…) Le soccer se joue avec la tête, le kabaddi est un sport de combat d’équipe (un genre de lutte) où le port d’un couvre-chef que l’on peut accrocher semble problématique selon ce que j’ai pu en comprendre. Et en sachant qu’il n’y a que les initiés qui doivent porter le turban, on se demande si la totalité des initiés ne joue pas au soccer (ou au kabaddi) et si non, c’est que ceux qui y jouent se plient aux règles sportives en ne respectant pas la prescription religieuse.

La question des prescriptions

Ce n’est pas la totalité des juifs qui portent la kippa. Ce n’est pas la totalité des musulmanes qui portent le voile. Comme le pointe la rédactrice en chef du magazine L’actualité, la grande majorité des jeunes sikhs ne portent pas le turban. Et encore :

Les parents canadiens qui insistent pour que leurs enfants portent un turban pour jouer au soccer – au nom de la liberté religieuse – ne demandent étonnamment pas que leurs enfants respectent les cinq règles enseignées par le gourou, et dont ne fait pas partie le turban. (Les règles en question : utiliser un peigne deux fois par jour, garder ses cheveux longs et porter un kirpan, un bracelet de fer et une culotte représentant la chasteté.) [….]

Ce symbole de tissu identitaire perd du terrain dans la patrie même du sikhisme parce que les mères, qui travaillent, n’ont plus le temps de peigner les longs cheveux de leurs fils !

Aux Jeux olympiques de Pékin, seuls des Canadiens portaient le turban sikh. Pas un seul Indien.

Alors, quand j’entends « c’est ma religion qui exige ça », c’est une vérité partielle, pour ne pas dire un mensonge.

La difficulté d’être laïque

Pour ce qui est d’exhiber ces couvre-chefs dans les endroits publics, la rue, les centres commerciaux, etc., il n’y a vraiment aucun problème pour moi. Et je me dois de le spécifier constamment parce que soulever ces problématiques de manière critique en faveur de la laïcité (ou d’autres règles contraignant la liberté de religion) donne des résultats parfois surprenants au niveau des débats. L’intolérance, la xénophobie et le racisme ne sont jamais bien loin pour qualifier ma pensée et celle de ceux qui sont d’accord avec mes positions. Ce qui est dommage là-dedans, c’est qu’on quitte tout à coup le royaume des idées pour atterrir dans la marée nauséabonde des attaques personnelles.

Il y a une sacrée différence entre dire « qu’ils repartent chez eux s’ils ne sont pas contents » ou dire qu’« ils viennent voler nos jobs » et tout ce que j’ai expliqué plus haut. Et parfois, j’ai l’impression que pour certains le combat de la laïcité est une manière déguisée d’être raciste, donc que les laïques sont des cryptoracistes.

Il ne faut pas tout mélanger. Être laïque n’est pas la conséquence d’un repli identitaire ni une haine profonde des signes ostentatoires religieux. Ce sont ceux qui profitent d’un système généreux au niveau des libertés individuelles qui sont haïssables.

Pour moi, le religieux parfait est celui qui use de sa sagesse pour choisir sa religion, donc qui décide de se retirer lorsqu’elle ne cadre pas avec certaines règles. Mais celui qui s’adapte est encore plus parfait…

(Crédit photo : J. Singh)

Ajout :

Dans un autre registre, je vous invite à lire la position d’un ami anarchiste :

http://davidgendron.wordpress.com/2013/06/13/ma-regle-concernant-le-port-du-turban-et-dune-tuque-atheiste


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